L’origine du nom

Entre la chaîne de Belledonne…
…et le massif de la Grande Chartreuse…
…une vallée large et basse.
où l’histoire a laissé ses empreintes…
des châteaux dominent la vallée
…des ruines se devinent dans la forêt.

Une énigme géologique

en avril 1995, Pierre Rouquès écrivait dans notre « Lettre »:

Le 14 janvier dernier, à Saint Ismier, Monsieur Jacques Debelmas, professeur émérite de l’Université Joseph Fourier, Président de l’Académie Delphinale et auteur de nombreux ouvrages de géologie, s’était fixé comme but de nous amener à regarder le Grésivaudan d’un œil nouveau.
Grâce à un exposé brillant, à la fois simple et très complet, nul doute qu’il a su captiver son auditoire et largement atteint son but.
Comme il l’a dit en introduction, son sujet était apparemment banal, mais nous avons pu rapidement constater que ce Grésivaudan posait de multiples questions et qu’il restait une part d’obscurité dans les réponses que pouvaient faire les spécialistes : Pourquoi cette si large vallée ? Pourquoi est-elle située à cet endroit ? Qu’est-ce-qu’il l’a creusée ?

Coupe géologique
Le Grésivaudan s’étend de Grenoble à Montmélian, entre Belledonne et le massif de la Chartreuse. L’endroit n’est pas le fruit du hasard, mais est la stricte conséquence de la nature des roches.
Si l’on fait une coupe imaginaire d’Est en Ouest, nous trouvons d’abord la chaîne de Belledonne ; comme le Massif Central, c’est un morceau du vieux massif hercynien qui était complètement érodé à la fin de l’ère primaire. A l’ère secondaire, la mer inonde toute la région jusqu’au pied de ce massif ; elle dépose des sédiments, alors, parfaitement horizontaux, mais qui seront basculés vers l’ouest lorsque la région se soulèvera.
Les sédiments sont d’abord des calcaires marneux, très tendres, visibles dans les gorges du Sonnant et du Breda.
Ensuite, côté Chartreuse, les couches deviennent de plus en plus chargées en calcaire pour arriver aux corniches du Saint-Eynard et des Petites Roches.
Puis, de nouveau, des marnes au Crétacé inférieur, que couronnent les calcaires très durs de l’Urgonien. A noter qu’au-delà de Montmélian, dans la Combe de Savoie, les terrains et la grande vallée sont absolument identiques. Par contre, au Nord d’Albertville, les terrains sont toujours identiques, mais la grande vallée n’existe plus.
Toutes ces couches ont été soulevées et basculées lors du plissement alpin qui s’est propagé d’Est en Ouest depuis 40 millions d’années.

Le creusement de la vallée, quelles causes ?
Les fleuves
Dès que les Alpes ont eu quelque hauteur, des cours d’eau se sont installés ; charriant sables et galets, ils se terminaient en deltas dont les restes sont encore bien visibles. Par exemple, l’un de ces fleuves, venant de la région de Briançon, a laissé les conglomérats de son delta vers Voreppe, Voiron et entre Lans et Saint Nizier.
La nature des galets de ce delta montre que ni Belledonne, ni l’Oisans, ni le Vercors, ni la Chartreuse n’existaient alors. De même, deux autres fleuves, à peu près parallèles suivant, en gros, le tracé de l’Arc et de la haute Isère se terminaient dans les vallées, aujourd’hui mortes, de Chambéry et d’Ugine/Annecy.
De petits affluents de ces trois fleuves se sont installés dans la bande de marnes tendres qu’ils ont pu facilement creuser. Par érosion régressive, ils ont réussi le tour de force de capturer les fleuves de Chambéry et d’Annecy et ainsi de dévier la totalité des eaux vers le Sud, jusqu’à Grenoble, décuplant la force d’érosion.
Le Grésivaudan prend naissance à ce moment là, il y a 6 millions d’années ; c’est la configuration actuelle. Et Belledonne a commencé sa surrection !

Les glaciers
Depuis un million d’années, l’arc Alpin a connu 4 glaciations, mais seulement les 2 plus récentes sont visibles dans le Grésivaudan:
Au RISS, (compris entre – 260 000 et – 120 000 ans), l’épaisseur de glace, au niveau de Grenoble était de 1500 m et avait creusé la roche jusqu’à 500 à 600 m au dessous de l’altitude actuelle.
Quand le glacier s’est retiré, un lac s’est installé de Rovon à Albertville (semblable au Lac Majeur mais 2 fois plus long) et s’est peu à peu rempli d’alluvions.
La glaciation Wurm, (comprise entre -80 000 et -20 000 ans), moins intense, a déblayé ces alluvions et a été, elle même, suivie d’un nouveau lac qui s’est également comblé de sédiments : c’est la morphologie actuelle existant depuis 10 000 ans. Les 2 glaciers successifs et puissants ont eu beaucoup de facilité à surcreuser les schistes tendres (toujours eux!) de la vallée préexistante. Simultanément, ils l’ont calibrée et élargie considérablement.

L’effondrement
C’est une troisième explication possible, mais elle n’est pas totalement démontrée. On constate, côté Belledonne, que la pente se raccorde brutalement à la vallée, comme un mur incliné ; les ruisseaux et les routes ont d’ailleurs quelques difficultés à passer cet épaulement.
L’idée des géophysiciens est donc que ce « mur » correspond à une longue faille et que le Grésivaudan se serait effondré par rapport à Belledonne. En somme, une configuration semblable à la plaine d’Alsace ou au fossé des grands lacs africains.
Cette faille, que l’on repère par endroits, mais dont la continuité reste à vérifier, serait toujours vivante et occasionnerait la plupart des petits séismes que nous ressentons de temps à autre. Mais, est-ce le Grésivaudan qui s’effondre ou Belledonne qui se soulève ?
En fait, on n’est sûr de rien pour le Grésivaudan, par contre, les mesures indiscutables effectuées depuis 100 ans montrent que Belledonne se soulève d’au moins 2 mm/an (20 cm par siècle) dont une partie disparaît par érosion.
Le plissement alpin, dû à la poussée de la plaque africaine sur l’Europe, est donc toujours en cours, et l’on peut même dire que sa vitesse actuelle, aussi insignifiante qu’elle paraisse, correspond à une véritable crise de croissance. Si ce n’était pas le cas, Belledonne, en 6 Millions d’ années devrait être 2 fois plus haut. Ceci nous fait toucher du doigt la lenteur des phénomènes géologiques.
En guise de conclusion, Monsieur Debelmas reprend les termes de son introduction:
Une partie des questions que l’on se pose à propos du Grésivaudan ont des réponses claires et indiscutables :
La grande vallée est liée à la présence de roches particulièrement tendres.
Elle a été creusée d’abord par des fleuves anciens, puis élargie par les glaciers du quaternaire.
Les Alpes, et Belledonne en particulier, sont toujours en période de formation ; nous vivons même une crise de croissance.
D’autres réponses sont plus hypothétiques telles la théorie de l’effondrement. Cela fait partie des « énigmes ».
Après les sincères applaudissements remerciant l’orateur, de nombreuses questions ont illustré l’intérêt de l’auditoire pour ce sujet décidément passionnant.

Le nom « Grésivaudan »

Savez vous d’où provient le mot même « Grésivaudan » qui peut s’écrire indifféremment « Graisivaudan » ? Pour Monsieur Debelmas, c’est une énigme de plus, l’origine la plus probable étant un ancien mot : gré, grai, ou même gri, que l’on retrouve dans « Grisons » et « Alpes Grées » et signifiant pente rocheuse. Notre Grésivaudan serait donc tout simplement « la vallée dans la montagne ».

En mai 1999, dans La Lettre n° 56, le professeur Robert BORNECQUE écrivait:

Demandez à quelqu’un de vous dire, à brûle-pourpoint, l’exacte étendue du Graisivaudan. Vous obtiendrez des réponses assez variées et en tout cas hésitantes. Le flou artistique s’amplifiera si vous abordez la question de l’orthographe de la première syllabe. Gré ou Grai ? Enfin attendez-vous à un impressionnant silence lorsque vous poserez le problème de l’étymologie du mot.
C’est le résultat que j’ai obtenu en m’adressant pourtant à d’éminents universitaires et historiens. Peut-être n’est-il donc pas inutile d’aborder ce sujet pour les membres d’une association qui se définit précisément pas le mot « Grésivaudan ».

Dans son « Dictionnaire du Dauphiné », écrit au XVIIe s. et publié par Gariel à la fin du XIXe siècle, Guy Allard propose une solution surprenante. Le nom viendrait, écrit-il, de ce que cette vallée était le passage des Grecs (en latin Graeci ou Graii) venant d’Italie. Outre qu’on ne voit pas d’explication bien sérieuse à cette brusque avalanche de Grecs dans notre région, rien n’explique dans ce cas les deux autres syllabes : « vaudan ».
En fait, les spécialistes pensent généralement qu’il s’agit de la déformation du mot « grationopolitanus » (= grenoblois) sans cesse associé dans les textes médiévaux à « pagus » (pays).
Le langage parlé transforma cet adjectif en « Gratipoltan », puis « Graisivaudan ». On peut opposer une objection deux localités de Savoie, Grésy sur Aix et Grésy sur Isère semblent avoir le même radical et n’ont évidemment aucun lien avec Grenoble.
La racine serait préromaine, d’un sens obscur.
Les spécialistes ne tiennent pas la difficulté pour sérieuse. Si donc notre Graisivaudan vient de « grationopolitanus », l’orthographe ancienne avec « ai » au lieu de « é » se trouve justifiée.
La question de l’étendue recouverte par ce terme ne reçoit pas non plus de réponse simple. Pour Guy Allard, qui en énumère les paroisses constituantes, c’est la région qui va de Grenoble, la ville non comprise, à la frontière de Savoie, en excluant les localités d’altitude comme Theys ou Allevard. Au contraire, le baillage de Grésivaudan, circonscription d’Ancien Régime, englobait non seulement la zone précédente, mais la vallée en aval de Grenoble jusqu’à Tullins et aussi la Matheysine et même l’Oisans. Chacun peut donc choisir entre ces deux définitions extrêmes. Les historiens pencheraient plutôt pour l’en-semble de la vallée de l’Isère, avec ses annexes proches, de Chapareillan à Tullins.
On distingue d’ailleurs couramment un haut et un bas Graisivaudan, de part et d’autre de Grenoble. L’Oisans et la Matheysine sont définitivement exclus.
Quoi qu’il en soit, les Amis du Graisivaudan disposent d’une grande liberté de manœuvre pour définir le cadre de leur action et les perspectives les plus grandioses s’offrent au dynamisme des responsables et des membres de cette respectable association.

La même année, en septembre 1999, Pierre Rouquès écrit de nouveau dans le n° 57 de La Lettre:

Il est vrai que cette zone, réduite, est très homogène dans un département qui ne l’est guère, et finale-ment, c’est bien le territoire de notre Association.Tout le monde semble d’accord sur un point: l’origine du mot est mystérieuse et l’on ne peut faire que des hypothèses, variant selon le point de vue : histoire, géologie…
Dans ce contexte, il est intéressant de rappeler une idée que Jacques Debelmas nous avait proposée lors de la conférence du 19 janvier 1995 et résumée dans la « Lettre » n° 44.
Admettant que ce mot est une énigme, quelle que soit son orthographe, il estimait que l’origine la plus probable est un ancien terme GRE, GRAI ou même GRI, que l’on retrouve dans Grisons, Alpes Gréés ou Grésy et signifiant pente rocheuse (Latin : Gradys).
Notre Grésivaudan serait donc, tout simplement, « la vallée dans la montagne ».
La définition s’applique alors parfaitement à la portion du sillon alpin que nous connaissons bien, à l’exclusion de la cuvette grenobloise, de la cluse de Voreppe qui est l’échappée de l’Isère à travers la montagne et surtout de la plaine de la basse-Isère, située hors des montagnes.

Voici un nouvel épisode de notre « saga » consacrée à l’origine du nom du Grésivaudan. Cette fois-ci, c’est une nouvelle amie, Marie-Thérèse Martin, agrégée de Lettres Classiques, et linguiste avertie, qui s’est penchée sur d’éventuelles origines gauloises (ou celtiques) de notre toponyme , et nous promet d’autres recherches…
Si l’on décompose le nom, cela donne « Grési – Vau – Dan »
1) Pour « Grési », nous disposons du gaulois « graeso » ou « grava », et du gallois « gro » qui signifient « gravier » (en breton, le gro est le sable de rivière).
D’autres témoins gaulois s’en rapprochent, comme « grauna » ou « gravisama » qui signifient « rivières graveleuses ».
Nous retrouvons cette racine pour Grosne, en Saône et Loire, et Grouerme, en Côte d’Or, et il est attesté que ces deux noms de villages proviennent de « grauna » ou « gravisama ».
2) Pour « Vau », nous gardons l’origine « vallis », qui semble incontestable, mais nous verrons ci-après comment le « val » se transforme en « vau ».
3) Pour « Dan », nous disposons :
– de « danos », ou « dannos », qui serait un titre de curateur
– de la racine « da » qui signifie « diviser »
– peut-être aussi est-ce un nom propre ou un titre. (on pense donc au « canton de… confié à… »)
Nous retrouvons à Vienne (Isère), une inscription latine avec des mots gaulois, dont « dannos Rex », traduit par « le Roi », ou « le Roi Dannos ».
– ou encore, de « dubnos » ou « dumnos » qui signifie profond, (donc vallée profonde?) comme on le retrouve dans le Doubs, dont l’origine gauloise est attestée.
Nous pouvons donc penser que le Grésivaudan est une subdivision, (canton, district ou secteur) d’une vallée où coule une rivière graveleuse, ou d’une vallée profonde ou coule une rivière etc.…
Nous sommes encore tentés de rapprocher le nom « Grésivaudan » de celui de « Lavaldens », près de La Mure, dans la vallée de la Roizanne. Or, d’après des archives diverses, des cartulaires etc…, nous trouvons « Valdenz au XI è, Valle Dentis au XII è, Vaudens et Valleden au XIII è,Vallis Denz au XIVè, ou encore Vallis dencium, Valdent. Si la majuscule ne signifie rien, l’explication serait : « vallée enserrée entre sommets dentelés ».
Ces hypothèses sont toutes deux plausibles et ne se contredisent pas.
(Entre autres sources : Pilot de Thorey : Dictionnaire topographique de l’Isère (Romans 1920) et Sclafert Thérèse : Le Haut Dauphiné au Moyen Age ,1920)
Ces explications effacent donc totalement l’hypothèse de l’origine de « Grésivaudan » comme « région de Gratianopolis ».
Pour ce qui est du « val » devenant « vau », il s’agit de la vocalisation du « l ».
Le « l » en effet devient une sorte de « ouaou », (son de gorge), devant une consonne prononcée. Exemple « cheval » donne au pluriel « chevals », prononcé « chevouaous », qui donnera « chevaus ». La finale au pluriel étant fréquente, les copistes l’abrégeaient en la remplaçant par une petite croix, qui sera prise plus tard pour un « x » !

Dans le Grésivaudan coule l’Isère, dominée par la chaîne de Belledonne :
L’ « Isère » vient de « Isara » : la rapide (racine indo-européenne et celtique)
Et « Belledonne » pourrait être rapproché de « Bello – dunum ». Bello signifie fort, puissant, et dunum la hauteur. Donc la puissante hauteur. (cf. Belisama, déesse gauloise qui est « la très puissante »).
Bellona est aussi la déesse de la guerre chez les gaulois cisalpins, donc Belledonne pourrait être aussi « la montagne de Bellona ».
à suivre…